Lettre ouverte à l’ARS Bretagne
à l’attention de Monsieur Stéphane MULLIEZ
Covid-19 : les Médecins Libéraux exerçant dans des établissements privés regrettent une gestion de crise hospitalo-centrée, et le manque de coopération public-privé
Rennes, le 23 avril 2020
Monsieur Le Directeur Général,
Dans son communiqué du 25 mars dernier, l’URPS des Médecins Libéraux de Bretagne attirait déjà l’attention sur « des décisions de l’Etat déconnectées de la réalité ». S’agissant spécifiquement des Médecins Libéraux exerçant dans des établissements privés, nous avions alors souligné que nous étions prêts à recevoir des patients et avions demandé à être associés à part entière – aux côtés des centres hospitaliers de référence et de la médecine de ville – à la coordination des soins Covid-19. Mais force est de constater que la situation ne s’est pas améliorée.
Suite à la demande du Ministre de la Santé le 16 mars, il convient de rappeler que toutes les cliniques privées ont déprogrammé leurs interventions, afin d’augmenter la capacité de soins critiques sur l’ensemble du territoire. Pour autant, de nombreux témoignages d’Anesthésistes Libéraux du Grand Est et d’Ile-de-France ont rapporté un retard « à l’allumage » dans la coopération entre l’hôpital public et le privé. Dans un second temps, il apparaît toutefois que les acteurs du secteur privé ont été de mieux en mieux intégrés au dispositif. Ainsi, début avril en Ile-de-France : sur 2 600 patients en réanimation, 350 étaient hospitalisés dans des hôpitaux privés (source FHP).
Anesthésiste-Réanimateur au CHP Saint-Grégoire (35), je tiens à témoigner que je me suis rendu au CHP de l’Europe à Port Marly (Yvelines) début avril, en renfort et aux côtés des équipes soignantes déjà engagées (9 infirmières et 3 aides-soignantes du CHP Saint-Grégoire). Alors que des anesthésistes de Rennes se sont rendus à Osny dans le Val d’Oise et d’autres de Saint-Brieuc dans l’Est. Cette solidarité interrégionale s’est observée au plan humain, mais aussi au niveau du matériel acheminé qui faisait défaut là-bas. Sur place, nous avons constaté que la situation est extrêmement tendue : c’est de la « réanimation de guerre », c’est irréel ! Pour un professionnel de santé, il est indéniable qu’il faut énormément de volonté et d’abnégation pour accepter cela.
Si nous nous félicitons que la situation épidémique en Bretagne n’ait pas atteint le niveau de crise observé dans d’autres régions, il n’en reste pas moins que l’organisation n’est pas du tout satisfaisante ! Nous tenons à rappeler le volontarisme des médecins d’établissements privés bretons, qui ont participé à la liste de garde de réanimation chirurgicale du CHU de Rennes et de Saint-Malo. En dépit du problème criant d’organisation, nous regrettons le manque de coopération entre le groupement hospitalier de territoire et les établissements de santé privés. Une telle fragmentation est inacceptable, de surcroît en temps de crise !
Ici, malgré une volonté saluée de l’ARS Bretagne de créer, fin mars, 40 lits supplémentaires en réanimation dans le privé, on peut regretter l’absence de transfert de patients venant des régions les plus touchées (Grand Est et Ile-de-France) dans les cliniques privées. Les trains sanitaires sont passés sans s’arrêter devant autant de places armées et opérationnelles… Au-delà de la reconnaissance des équipes en place, cette opportunité aurait dû renforcer les liens de coopération entre le public et le privé en Bretagne.
Alors qu’une seconde crise sanitaire nous guette et doit être prise en compte, celle due à l’arrêt de nos activités, nous devons envisager une reprise d’activité plus large que celle que le plan blanc nous autorise. Des patients sont en attente ; certains ne s’autorisent plus à accéder aux soins et sont pris tardivement en charge. Il faut ensemble – médecins, directions d’établissement et ARS – édicter des règles de reprogrammation par une revue de la pertinence des actes, en prenant en compte la situation sanitaire qui risque de se poursuivre, tout en garantissant à la population une sécurisation des flux au niveau des plateaux techniques lourds.
A cela vient s’ajouter une pénurie des médicaments essentiels à l’anesthésie et à la réanimation (hypnotique et curares) alors que le nombre de patients en réanimation diminue. A compter du 27 avril, le ministère de la Santé va prendre en main l’achat et la distribution de 5 molécules via les ARS. Les pharmacies d’établissement ne pourront plus passer commande. Nous comptons sur votre soutien pour une juste répartition.
Nous nous engagerons à respecter les préconisations de la SFAR (Société Française d’Anesthésie et de Réanimation) et de l’HAS pour une utilisation parcimonieuse de ces molécules en tension.
Pour conclure sur une note optimiste : nous espérons pouvoir miser sur la pérennité des lits de réanimation acquis, au bénéfice de la santé des Bretons. Car rappelons-le, avec un peu plus de 5 lits pour 100 000 habitants, notre région est sous dotée en lits de réanimation.
En espérant que cette lettre retiendra toute votre attention, veuillez agréer, Monsieur le Directeur Général, ma sincère considération.
Dr Loïc KERDILES, vice-Président de l’URPS Médecins Libéraux Bretagne
et Anesthésiste-Réanimateur au CHP de Saint-Grégoire (35)