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Des médecins et IDE libéraux investis dans une organisation coordonnée au sein d’établissements médico-sociaux dans le Pays de Lorient
« Sur le plan médical et paramédical, y compris dans des endroits non médicalisés, la ressource est autour de vous, à commencer par les libéraux ! »
* Dr Eric FOSSIER, médecin-directeur de l’HAD (Hôpital à Domicile) de l’Aven à Etel (cf. annexe * Vidéo de présentation)
Fin mars, plusieurs EHPAD et EHPA du Pays de Lorient ont été confrontés à la multiplication du nombre de cas suspects Covid-19, soulevant les problématiques de dépistage, de prise en charge, ou encore de risques de contamination accrus dans ces structures de vie collective. Malgré l’urgence, les acteurs concernés ont mis sur pied une organisation coordonnée, en bonne intelligence, pour s’occuper des résidents Covid + et Covid -.
Cette coordination de ville autour des EMS (établissements médico-sociaux) touchés a été orchestrée par l’HAD (Hôpital à Domicile) de l’Aven à Etel, qui a notamment fourni le matériel de protection et l’appui logistique requis. Elle s’est aussi structurée avec la mobilisation volontaire de médecins traitants et d’IDELs intervenant habituellement auprès de ces résidents. Le recours à la cellule volante gériatrique de l’hôpital a également constitué un rouage nécessaire de cette organisation, pour réaliser les tests et l’évaluation gériatrique.
Pour plus de détails sur la mise en place de cette organisation dans le Pays de Lorient, nous vous invitons à consulter le récit du Dr Eric Fossier, médecin-directeur de l’HAD (Hôpital à Domicile) de l’Aven à Etel, accessible en suivant ce lien et en annexe.
NB : S’agissant d’une organisation mise en place initialement dans un établissement non médicalisé, ce processus a immédiatement été soumis et validé par le Conseil départemental 56 et la délégation départementale de l’ARS du Morbihan. Compte tenu de l’intérêt suscité et du succès observé, une diffusion de cette initiative est en cours à l’échelle régionale : auprès de la cellule d’appui médico-sociale de l’ARS, des autres Conseils départementaux (29, 35 et 22), des DAC (Dispositifs d’Appui à la Coordination) bretons, des HAD, ou encore des porteurs de filière gériatrique, sans oublier bien sûr les libéraux par le biais de leurs URPS !
Equipe pilote de coordination mise en place à Kerguestenen
De gauche à droite : Mme Lydia GUINGUENO, directrice par intérim de la résidence ; Dr Corinne BERTIN, médecin généraliste, initiatrice de la coordination médicale libérale ; Mme Delphine DOCHTER-PALLEAU, IDE libérale, membre de la Cellule Covid, et IDE coordinatrice au sein de la résidence ; Mme Isabelle JAN, cadre de santé, mutualité Finistère Morbihan, pilote cellule de crise
(crédit photo : Dr Eric FOSSIER)
Pour présenter plus précisément cette organisation coordonnée dans des EMS du Pays de Lorient, la parole est donnée à deux professionnels libéraux actifs dans cette démarche :
– Côté médecin : Dr Corinne BERTIN, médecin généraliste en charge de la coordination médicale
– Côté infirmier : Delphine DOCHTER-PALLEAU, IDEL en charge de la coordination IDE
Comment se passe concrètement l’implication et la coordination des libéraux pour la prise en charge des résidents en EMS ?
Dr Corinne BERTIN : Après recensement des Médecins intervenant dans l’établissement, un mail a été adressé à chacun d’eux indiquant les buts recherchés et les modalités d’intervention souhaitées, ainsi qu’un lien vers un « réseau social » dédié à l’établissement où nous échangeons les informations sur la situation de l’établissement, prenons les décisions collégiales sur les actions à mener et établissons une liste de présence des médecins 7j/7 sur la base du volontariat. Actuellement, le réseau comprend 23 membres.
C’est ce volontariat qui a été particulièrement important pour fédérer tout le monde en un temps record, car dès le lendemain, la présence médicale était opérationnelle de façon continue jusqu’à maintenant et en prévisionnel jusqu’au 15 mai.
Chaque professionnel de santé libéral garde la responsabilité du suivi de son patient :
Dr Corinne BERTIN : si certains médecins ne souhaitent pas intervenir pour raisons médicales ou personnelles, les confrères s’occupent de leurs patients à leur place.
Delphine DOCHTER-PALLEAU : coté IDEL, ceux qui souhaitent déléguer leurs soins peuvent le faire auprès de la cellule Covid IDEL de Lorient, qui est organisée sur un planning de garde sur leurs jours de repos.
Cela a permis de limiter le nombre de professionnels de santé qui interviennent, et donc le nombre d’équipements de protection individuelle (EPI) nécessaires. D’autres se sont organisés au sein de leur cabinet pour qu’un seul IDEL du cabinet intervienne sur la structure et ainsi limiter les risques de contamination croisée sur nos tournées habituelles.
Rôle des IDELs :
Delphine DOCHTER-PALLEAU : surveillance Covid une fois par jour minimum (Cf fiche de surveillance accessible en suivant ce lien et en annexe) sur prescription médicale (Cf modèle de prescription médicale pour le suivi infirmier renforcé accessible en suivant ce lien et en annexe) et plus si nécessaire. Certains ne voyaient leurs patients qu’une fois par semaine, il a fallu s’adapter.
Nous en sommes à 4 semaines de surveillance quotidienne, et nous prolongerons de 14 jours supplémentaires pour l’intégralité des résidents, afin d’être alerté au moindre changement et de rester réactif.
Le suivi des lignes symptomatiques et leur prise en charge précoce sont déterminants pour garder toutes les chances du patient de notre côté.
Rôle des médecins généralistes :
Dr Corinne BERTIN : Cette évaluation si fine a été rendue possible par l’évaluation à J0 de tous les résidents avec indication des ATCD et TT, ainsi que par la surveillance par des professionnels qui les connaissent, capables de remarquer tout changement. Il en est de même de la poursuite d’un suivi médical quotidien par un des médecins libéraux présent 7 jours sur 7 par roulement.
Ce fonctionnement correspond à un grand changement dans la pratique de ces médecins car il n’est pas soumis à une rémunération à l’acte, mais correspond à un statut réglementaire avec « réquisition de leur plein gré » de la part de l’ARS (dans les conditions de l’arrêté du 28 mars 2020 lié à la crise Covid).
Il faut également souligner le soutien inestimable et indispensable que nous ont apportés les établissements alentours avec possibilité d’hospitaliser, directement en quelques heures, sur simple appel téléphonique, les patients nécessitant des soins aigus, mais aussi les services de SSR (Soins de Suite et de Réadaptation) qui ont accueilli certains patients nécessitant d’être isolés ou en post hospitalisation.
La coordination IDE :
Delphine DOCHTER-PALLEAU : Je suis en charge de la coordination. Et la structure a géré le recrutement d’une infirmière coordinatrice (IDEC) puis deux, pour roulement pour 6 mois. Elles sont arrivées à J3 et J4 de notre intervention. L’intérêt est de pouvoir apporter ma connaissance de la spécificité d’un suivi par un IDEL (contraintes administratives, conformité des ordonnances, respect des règles déontologiques) à l’IDEC en place, et de penser cette collaboration atypique (quid des responsabilités de chacun, qui fait quoi, quand ?).
Isabelle JAN, cadre de santé à la Mutualité 56/29 a également été un maillon essentiel dans cette coordination notamment sur la partie structurelle du projet, par son expertise en hygiène : circuit propre/sale, DASRI… et en gestion en ressources humaines.
1. Mission initiale :
Créer les dossiers de soins qui vont permettre (Cf dossier de soin et ses différents éléments, en annexe à la fin de cet article) :
– Le suivi quotidien
– L’identification des situations à risques
– L’élaboration des conduites à tenir : suivis alimentaires et hydriques, prévention des risques de glissement et de chute…
– L’élaboration d’un outil de suivi de cohorte (Cf outil de suivi de cohorte accessible en suivant ce lien et en annexe)
2. Mission au long cours, pour les IDEC en place :
– Assurer une vision globale soignante, et donc la sécurité du public fragile de l’établissement
– Assurer une supervision des deux aides-soignantes faisant fonction
– Avoir avec une bonne connaissance médicale/paramédicale des résidents, même s’ils ont un IDEL
– Synthétiser les informations recueillies auprès des IDELs et assurer le lien avec le médecin libéral de passage chaque jour
– Pouvoir stocker, mettre à jour, et accéder à des données médicale/paramédicales dans la structure
– Faire une veille active des situations à risques et préconiser des actions préventives
– Evaluer la perte d’autonomie des résidents et émettre un avis sur leur orientation EHPA/EHPAD.
Equipe de coordination à Kerguestenen (présente tous les jours)
« On est dans le hall principal, réquisitionné pour la coordination, puisqu’il n’y a pas de poste de soins dans ces foyers non médicalisés. C’est un endroit stratégique, car aucun libéral ne peut entrer ou sortir sans passer par là. Ainsi tous participent à la transmission réciproque des informations pertinentes ! »
De gauche à droite : Sterenn MIN, élève IDE, 3ème année (stage formateur !!) ;
Mélanie Boileau, IDE de coordination ; Sabrina Adouama, Aide-Soignante ; Amélie Ricou, AMP
(crédit photo : Dr Eric FOSSIER)
Quelles sont les principales difficultés rencontrées pour la mise en place de cette organisation ?
Dr Corinne BERTIN : Il n’y a pas eu de grandes difficultés de mise en place. Rapidement, la réponse des confrères a été positive et enthousiaste, dans l’intérêt de nos patients et pour éviter une crise comme dans un établissement voisin où le bilan humain a été malheureusement lourd.
Il a été nécessaire de rappeler quelques Médecins qui n’avaient pas bien compris le but et avaient peur de voir leurs patients examinés par d’autres. Avec un minimum d’explications, ils ont été rassurés et sont venus gonfler la liste des volontaires.
La plus grosse difficulté a été de faire accepter le mot « réquisition volontaire », qui, pour beaucoup rappelle des souvenirs douloureux et une perte de liberté. C’est en fait un cadre juridique qui nous permet d’être rémunérés pour notre passage selon la liste transmise à l’ARS.
Un peu de pédagogie et tout s’est arrangé !
Delphine DOCHTER-PALLEAU : Parmi les difficultés rencontrées, on peut citer :
– La disponibilité des EPI. L’essentiel de nos EPI est issu de dons (coordonnés localement par Dr Ivane AUDO notamment). La préfecture nous a accordé une petite dotation…
– La disponibilité des professionnels de santé : il y a beaucoup de bonnes volontés, mais cette organisation mobilise les professionnels de santé sur leur temps de repos (Cellule Covid / astreintes médicales)
– La multitude d’intervenants : pour l’IDEC, comme pour le médecin de garde : c’est autant d’intervenants à prévenir lorsqu’il y a un souci, mais aussi autant de professionnels à consulter avant de prendre une décision.
Quels sont les points positifs de cette action ?
Dr Corinne BERTIN : Les points positifs de cette expérience me semblent être :
– la coordination entre médecins (libéraux mais aussi hospitaliers) et avec les autres professionnels, en particuliers infirmiers, pour dépister au plus vite et au plus juste.
– la communication qui nous manque souvent beaucoup, isolés que nous sommes dans nos cabinets.
– le suivi très précis de tout changement, qui a permis une réactivité exceptionnelle dans les prises en charge et probablement les résultats en terme épidémiologique.
– et donc un dépistage précis au moindre symptôme atypique.
Delphine DOCHTER-PALLEAU : Voici les points positifs que j’observe :
– l’enrichissement des connaissances de la maladie et de ses manifestations, qui a bénéficié à tous et a permis d’améliorer les prises en charge (cercle vertueux).
– l’amélioration de la communication entre les professionnels de santé, aussi bien en intra-professionnel ou interprofessionnel.
– une vraie collaboration interprofessionnelle vertueuse, qui ne s’encombre pas ou peu des hiérarchies archaïques habituelles. Une réelle intelligence collective au service du patient en fonction de ses besoins, où la situation de crise/d’urgence a tout rendu facile, rapide et donc efficace.
– une garantie de qualité des soins pour le patient : pas de rupture de la continuité des soins médicaux et paramédicaux, et zéro perte de chance pour les patients. Ce sont les mêmes professionnels qui interviennent, avant, pendant et après.
Quels seraient les trois conseils que vous donneriez pour aider d’autres professionnels qui envisageraient une duplication de cette expérience sur d’autres territoires ?
Dr Corinne BERTIN : Pour réussir, il faut :
1- Trouver un professionnel fédérateur, qui connaît tous les praticiens et que tous connaissent, afin de fédérer les énergies et de coordonner, sans oublier d’avoir un canal de communication clair dédié (sur Lorient, nous avons utilisé TELEGRAM).
2- Une coordination entre les infirmiers libéraux avec renforcement des passages et des surveillances qui doivent être quotidiennes voire biquotidiennes.
3- Une coordination infirmière interne à la structure, pour collecter les informations et faire le lien entre tous les professionnels (médecins, infirmiers mais aussi kinés, psychologues éventuels et les familles). Ainsi chacun peut s’occuper de son cœur de métier et se délester de la logistique.
Delphine DOCHTER-PALLEAU : Voici mes trois conseils :
1- Identifier les ressources : un médecin ou une organisation médicale avec un IDEL ou une organisation d’IDELs fédérateurs sur leur territoire ; recourir au personnel de secours (Croix-Rouge, associations, boîtes d’intérim, mais le mieux étant un établissement partenaire touché par une baisse d’activité ayant entraîné le chômage partiel ou la disponibilité de ses personnels qualifiés).
2- Être avertis / sollicités dès l’apparition d’une situation à risque, comme le dit ma collègue qui s’est attelée aux problèmes structurels : « chaque jour de passé est un jour perdu ! ». Aussi, le dispositif d’alerte déployé sur le territoire devrait être accessible aux IDELS et non pas aux seuls médecins. Nos interventions quotidiennes, voire pluriquotidiennes, nous permettent d’identifier très tôt si les moyens à disposition ou mis en œuvre sont suffisants. Ici, ce sont les IDELS qui m’avaient avertie dès le 1er cas positif, le 27 mars, et de la situation à risque, clairement identifiée ; information que j’avais reportée le soir même à l’ARS en sollicitant une intervention.
3- En amont, évaluation par l’EHPAD ou l’EHPA de ses points de faiblesse face à ce risque épidémique, et qu’il se fasse aider si besoin. Il faut s’assurer de pouvoir mettre à disposition rapidement les éléments à jour, nécessaires à cette coordination (cf Présentation et check Liste « Que faire en cas de suspicion de Covid-19 en Etablissements Sociaux et Médico-Sociaux ? » à télécharger en suivant ce lien et en annexe).
Annexes / Pour en savoir plus :
Description du processus ayant permis la mise en place d’une organisation coordonnée, dans des établissements médicaux sociaux du Pays de Lorient à télécharger en suivant ce lien (Fiche HAD de l’Aven à Etel, 30/04/2020)
Présentation et check Liste « Que faire en cas de suspicion de Covid-19 en Etablissements Sociaux et Médico-Sociaux ? » à télécharger en suivant ce lien (Fiche HAD de l’Aven à Etel, Mutualité 29/56, URPS MLB et URPS IDEL, 28/04/2020)
Le dossier de soins infirmiers contient les différents outils suivants :
– Fiche de surveillance IDEL à télécharger en suivant ce lien
– Modèle fiche patient pris en charge par la cellule IDEL Covid de Lorient à télécharger en suivant ce lien
– Modèle de feuille de transmission IDEL à télécharger en suivant ce lien
– Modèle de prescription pour le suivi infirmier renforcée dans le cadre d’un patient Covid+ ou susceptible Covid+ à télécharger en suivant ce lien
– Outil de suivi de cohorte à télécharger en suivant ce lien
* Vidéo de présentation de la mise en œuvre de cette organisation coordonnée, avec interview de l’HAD de l’Aven à Etel et des directions d’ESMS du pays du Lorient à visionner en suivant ce lien (NB : pour l’explication de l’intervention de l’HAD et des libéraux, rdv à partir de 11’20).
Cette vidéo est également accessible dans le Guide en ligne de gestion de l’épidémie à destination des EHPAD, initié par Cpias Bretagne, CHU de Rennes, CHU de Brest, GCS CAPPS Bretagne
(chemin d’accès, cliquer sur : « Contacts ressources par territoire » // puis sur la carte TS3 Pays de Lorient // et enfin à droite, « Webconférence du 23/04/2020 »)